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"La vie est magnifique, dit Kisiakoff, en humant l'alcool modéré. Vous êtes là, à geindre, parce que vous avez quitté la Russie. vous ne comprenez donc pas que, tant qu'on est vivant, rien n'est perdu? Dieu ne vole jamais. Il remplace. On t'enlève Moscou, on te donne Paris, on te prive de ta fortune, on t'offre la misère. Il faut profiter de Paris comme de Moscou, de la misère comme de la fortune. Qu'on te botte le cul ou qu'on te pose une couronne en papier doré sur la tête, les deux expériences sont riches d'enseignements délicieux."

"Dès le jour où tu es entré dans cette maison, j'ai su que Lucienne Pérez se tuearit par ta faute. Un peu plus tard? Un peu plus tôt? Qu'importe! Regarde-la. N'est-elle pas une merveilleuse victime? Exactement conforme à la tradition. Faite pour la passion, elle est morte par elle. Elle a bouclé la boucle. Elle s'est pliée à la logique de Dieu. Bravo, Lucienne Pérez, nous te saluons très bas."

Nicolas II n'était plus qu'un monarque errant, refusé par tous, privé de renseignements, isolé dans son compartiment luxueux comme dans un cercueil. Le front collé à la vitre, Lioubov avisa un petit homme, en capote grise, qui arpentait l'asphalte du quai, devant elle. Il avait un regard songeur, de grosses moustaches châtain, une barbe en forme de coeur. Ses traits étaient tirés par la fatigue. Sa peau paraissait verdâtre. Personne ne l'accompagnait. "C'est le tsar! murmura le patron. Il est sorti prendre l'air." Une contraction subite serra le ventre de Lioubov. Son coeur chancela. Elle dit faiblement: "ça, le tsar?... - Mais oui."

Une mèche de cheveux blonds s'était échappée du chapeau de Tania et palpitait contre sa joue, comme l'aile d'un oiseau captif. Le rivage s'éloignait majestueusement... La fumée des cheminées formait un halo mauve au-dessus de Novorossiisk. Ce faible mirage incarnait à lui seul toute la Russie. C'était de toute la Russie que Tania prenait congé en saluant cette baie encombrée de glaces... "Ce n'est pas possible, dit-elle, nous ne partons pas pour toujours..."